Portrait de la Fracture (6/54) : La RDC & Congo-Brazzaville - Entre la Force de la Communauté et le Poison de la Sorcellerie
Cet article explore la sagesse bantoue du bassin du Congo, marquée par la vision holistique de la vie et la force de la communauté incarnée dans l’Ubuntu : "Je suis parce que nous sommes". Cette spiritualité a nourri des royaumes puissants comme celui du Kongo, ancrant solidarité, accueil et résilience. Mais au cœur de ce système se cache une fracture destructrice : la sorcellerie (kindoki), qui transforme chaque malheur en accusation, mine la confiance et justifie l’exclusion ou la violence, parfois jusqu’à l’enfant.
PORTRAITS DE LA FRACTUREANIMISME
Vérité Le Noir
8/18/20255 min read


Introduction : L'Héritage sous l'Arbre à Palabres
Aujourd'hui, notre voyage nous mène au cœur battant de notre continent, dans l'immense forêt du bassin du Congo, terre des grands royaumes et des peuples Bantu. Nous allons nous asseoir sous l'arbre à palabres pour écouter la sagesse qui a nourri des civilisations comme le Royaume Kongo, non pas pour la juger avec arrogance, mais pour la comprendre avec honnêteté. Notre quête reste la même : cette vision du monde, qui a produit une culture si vibrante et un sens si fort de la communauté, nous fournit-elle une boussole morale assez solide pour guérir les blessures profondes de ces nations aujourd'hui ?
1. Le Trésor : L'Unité de la Vie et le Pouvoir de la Communauté
La plus grande force de la pensée Bantu, qui unit des centaines de peuples de l'Afrique Centrale, est peut-être sa vision holistique de la vie. Pour nos ancêtres du Kongo, tout était interconnecté dans un grand flux de force vitale. Les morts ne sont pas partis ; les ancêtres continuent de veiller sur la communauté depuis le monde invisible. La nature n'est pas une chose inerte ; chaque arbre, chaque rivière est habité par des esprits. L'individu n'existe pas seul ; il n'est qu'un maillon dans la grande chaîne de la communauté.
Cette vision a produit le célèbre principe de l'Ubuntu, magnifiquement résumé par l'adage : "Umuntu ngumuntu ngabantu" ("Une personne est une personne à travers d'autres personnes"). C'est une sagesse profonde qui place la communauté, la solidarité et l'interdépendance au-dessus de l'individualisme égoïste. Le bien du clan prime sur le bien de l'individu. C'est le fondement d'une culture de l'accueil, du partage et d'une résilience collective extraordinaire.
(Source 1 : L'ouvrage du philosophe congolais Alphonse Kabasele Lumbala, Alliances avec le Christ en Afrique, explore en profondeur la cosmologie Bantu et montre comment le concept de "force vitale" (ntu) unit les êtres visibles et invisibles.)
(Source 2 : L'historien Jan Vansina, dans Kingdoms of the Savanna, a décrit la structure politique et sociale de ces grands royaumes, comme celui du Kongo, fondée sur des réseaux complexes de lignages et d'alliances.)
2. La Fracture : Le Point de Rupture Moral
Cependant, cette vision du monde si belle dans son idéal de communauté portait en elle un poison, une fracture qui a généré une peur et une violence inouïes : la sorcellerie (kindoki).
Si tout est interconnecté par une force vitale, alors tout malheur – une maladie, une mauvaise récolte, un accident, la mort – ne peut pas être un hasard. Il doit avoir une cause intentionnelle. Quelqu'un, quelque part, a dû "manger" la force vitale de la victime. Ce "mangeur d'âmes" est le sorcier (ndoki).
Et c'est ici que la logique devient terrifiante. La spiritualité ne devient plus une quête de communion avec un Dieu bon, mais une lutte à somme nulle pour la force vitale. Pour que je vive, quelqu'un d'autre doit peut-être mourir. Pour que je réussisse, je dois me protéger des attaques occultes de mes voisins, et peut-être même attaquer en premier.
La Destruction de la Confiance : La sorcellerie est le cancer de la communauté. L'ennemi n'est plus l'étranger ou le guerrier d'une autre tribu ; il peut être votre voisin, votre co-épouse, votre oncle, et même, dans les cas les plus tragiques, votre propre enfant (les "enfants-sorciers"). La suspicion ronge les liens les plus intimes de la famille et du village.
La Violence comme "Justice" : Pour rétablir l'équilibre, le sorcier présumé doit être identifié (souvent par un devin-guérisseur, le nganga) et neutralisé. Historiquement, cela menait à l'ostracisme, au bannissement, à la torture ou à la mise à mort, souvent par des procès par l'ordalie (épreuve du poison).
Cette vision du monde a aussi eu un impact sur la traite négrière. Le Royaume du Kongo a été l'un des partenaires les plus importants des Portugais dans ce commerce. Les rois du Kongo (Manikongo), bien que certains se soient convertis au christianisme, ont mené des guerres pour capturer des esclaves dans les régions voisines. La logique était simple : la solidarité de l'Ubuntu s'arrêtait aux frontières du royaume. Les peuples voisins n'étaient pas considérés comme des "personnes" (bantu) au même titre, mais comme des ressources à exploiter pour la puissance du royaume.
(Source 3 : L'historienne Anne Hilton, dans The Kingdom of Kongo, a montré comment les rois kongo ont utilisé la traite pour consolider leur pouvoir, et comment les accusations de sorcellerie pouvaient aussi être un moyen d'éliminer des rivaux ou de fournir des captifs.)
3. La Conséquence : Les Cicatrices dans le Présent
Les cicatrices de cette fracture sont encore à vif dans la RDC et le Congo-Brazzaville d'aujourd'hui.
Les Accusations d'Enfants-Sorciers : Ce phénomène tragique, qui voit des milliers d'enfants accusés de sorcellerie et jetés à la rue par leurs propres familles, est une conséquence directe de cette vision du monde. Le succès d'un enfant ou, au contraire, le malheur d'une famille, est interprété à travers le prisme du kindoki.
La Méfiance et l'Échec du Développement : La peur omniprésente de la jalousie et des attaques mystiques est un frein majeur à l'initiative économique et à la coopération. "Pourquoi devrais-je réussir si mon succès va attirer la haine de mon voisin ?"
La Violence Politique : Les guerres civiles dévastatrices qui ont ravagé la région sont alimentées par des haines ethniques, mais aussi par une culture politique où l'élimination de l'adversaire (parfois justifiée par des accusations de sorcellerie) est vue comme une stratégie légitime.
4. La Solution Externe et le Questionnement Final
Et c'est ici que nous devons poser la question honnête. D'où vient l'idée d'une confiance possible entre les hommes ? D'où vient l'idée d'une justice qui ne soit pas une vengeance occulte, mais un processus rationnel ? D'où vient l'idée que le plus vulnérable de tous, un enfant, a une valeur infinie et doit être protégé ?
Cette idée ne vient pas de la logique du kindoki.
Elle est un emprunt à la vision du monde judéo-chrétienne. C'est Jésus qui a dit : "Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent" (Marc 10:14), élevant l'enfant au plus haut statut spirituel. C'est l'Évangile qui remplace la lutte pour la force vitale par le don sacrificiel de la vie par amour. Jésus n'a pas "mangé" la vie des autres pour devenir puissant ; Il a donné sa propre vie pour que nous ayons la vie en abondance. C'est l'apôtre Jean qui affirme que "Dieu est amour" et que "l'amour parfait bannit la crainte" (1 Jean 4:18).
Cela nous laisse avec une question cruciale. Une question pour chaque Congolais fier de la sagesse de l'Ubuntu :
Si notre plus belle valeur, la communauté, est constamment rongée de l'intérieur par le poison de la sorcellerie qui détruit la confiance, et si, pour affirmer la valeur d'un enfant et le fondement de la justice, nous sommes obligés d'emprunter à la personne et à l'enseignement de Jésus... ne serait-ce pas la preuve que l'Ubuntu n'est qu'un rêve magnifique, mais que seul le Christ peut lui donner le pouvoir de devenir une réalité ?
Comment construire une communauté d'amour sur une fondation de peur ?
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