Portrait de la Fracture (5/54) : Le Sénégal - Entre l'Harmonie du Jom et le Silence de Roog
Cet article explore la pensée wolof et sérère à travers le concept du Jom, cette quête de dignité, d’honneur et de générosité qui fonde la Teranga sénégalaise. Il met en avant la richesse spirituelle de cette vision, centrée sur le Créateur Roog et les esprits ancestraux Pangool. Mais il dévoile aussi une fracture dramatique : le silence d’un Dieu distant, l’institution des castes, et la participation historique à la traite négrière.
ANIMISMEPORTRAITS DE LA FRACTURE
Vérité Le Noir
8/18/20255 min read


Introduction : L'Héritage sous l'Arbre à Palabres
Aujourd'hui, notre voyage nous mène en terre de la Teranga, au Sénégal, une nation carrefour, façonnée par des empires glorieux et des traditions de sagesse profondes. Nous allons nous asseoir sous l'arbre à palabres pour écouter la voix des peuples Wolof et Sérère, qui ont tissé l'âme de cette nation. Comme toujours, notre enquête se fera avec le plus grand respect. Notre quête reste la même : cette vision du monde, qui a produit une culture si riche, nous offre-t-elle une boussole morale complète pour affronter les défis de notre temps ?
1. Le Trésor : Le Jom et la Quête de la Dignité
La plus grande contribution de la pensée Wolof et Sérère à la sagesse universelle est peut-être le concept de Jom. C'est un mot presque intraduisible, qui englobe tout un univers de valeurs : la dignité, l'honneur, le respect de soi, l'intelligence, le courage et la générosité. Avoir le Jom, c'est être un homme ou une femme accompli(e), quelqu'un qui connaît sa valeur et agit en conséquence. C'est le fondement de la fameuse Teranga sénégalaise, cette hospitalité généreuse qui n'est pas une simple politesse, mais la reconnaissance de la dignité de l'hôte.
Cette quête de la dignité est enracinée dans une cosmologie complexe. Au sommet se trouve le Dieu créateur, Roog (chez les Sérères) ou Yàlla (chez les Wolofs), une entité suprême, bonne et juste. Mais ce Dieu est souvent perçu comme distant. La vie quotidienne est donc une interaction avec les Pangool, les esprits ancestraux qui agissent comme intermédiaires. Le respect des ancêtres et le maintien de l'équilibre social sont les piliers qui permettent de vivre une vie de Jom. C'est un humanisme profond, une spiritualité qui place la valeur de la personne (au sein de sa communauté) au centre de ses préoccupations.
(Source 1 : L'historien et philosophe sénégalais Cheikh Anta Diop, dans son ouvrage L'Unité culturelle de l'Afrique noire, bien qu'ayant une visée panafricaniste plus large, analyse des concepts similaires au Jom comme des preuves d'un fondement culturel et philosophique commun à de nombreuses sociétés africaines.)
(Source 2 : L'anthropologue Henry Gravrand, dans La Civilisation Sereer, a fourni une étude détaillée du panthéon et de la pensée religieuse Sérère, expliquant la place centrale de Roog et des Pangool.)
2. La Fracture : Le Point de Rupture Moral
Cependant, cette vision du monde si admirable présente une fracture, une question lancinante que même ses plus grands penseurs ont eu du mal à résoudre : si Roog est si bon et si juste, pourquoi est-il si silencieux et si lointain ? Et si le Jom est si central, comment une société fondée sur l'honneur a-t-elle pu participer à l'entreprise la plus déshonorante qui soit : la traite négrière ?
C'est le paradoxe tragique du Sénégal, incarné par l'île de Gorée. D'un côté, une culture de la Teranga et du Jom. De l'autre, l'un des plus grands centres de la traite atlantique.
Le Silence de Roog : La vision d'un Dieu créateur qui s'est retiré (Deus Otiosus), laissant les hommes négocier avec des esprits intermédiaires, crée un vide. En l'absence d'une révélation claire et directe de la volonté de ce Dieu bon, la morale devient une affaire de tradition et d'interprétation humaine. Qu'est-ce qui est juste ? Ce que les ancêtres ont toujours fait.
La Fracture Sociale : La société wolof et sérère précoloniale était très hiérarchisée, divisée en castes : les nobles (géer), les artisans (ñeeño), les griots, et tout en bas, les esclaves (jaam). L'esclavage domestique était une institution profondément enracinée. Le Jom était une vertu qui s'appliquait pleinement aux nobles, mais pas de la même manière à un jaam.
La Conséquence Historique : Cette structure a créé la vulnérabilité parfaite. Lorsque les marchands européens sont arrivés, les royaumes du Cayor ou du Baol n'ont pas eu à "inventer" l'esclavage. Ils ont simplement étendu et industrialisé une pratique existante, menant des guerres et des raids pour capturer des membres d'autres ethnies ou des personnes de castes inférieures, et les vendre en échange de biens de prestige et d'armes. La logique du Jom et l'honneur du lignage noble ont pris le pas sur une dignité humaine universelle qui n'existait pas dans leur système.
(Source 3 : L'historien Boubacar Barry, dans son livre La Sénégambie du XVe au XIXe siècle : traite négrière, Islam et conquête coloniale, publié en 1988, analyse en détail la structure sociale et l'impact dévastateur de la traite sur les royaumes sénégambiens, montrant comment elle a exacerbé les guerres internes et la militarisation de la société.)
3. La Conséquence : Les Cicatrices dans le Présent
Cette fracture historique a laissé des cicatrices profondes dans la société sénégalaise moderne, souvent masquées sous un vernis d'unité religieuse (l'islam confrérique).
Le Poids des Castes : Bien qu'officiellement abolies, les distinctions de castes continuent de jouer un rôle subtil mais réel dans les alliances matrimoniales, les relations sociales et même la politique.
Les Tensions Ethniques : Les relations entre les Wolofs (majoritaires), les Sérères, les Pulaar et les peuples de Casamance restent complexes, marquées par l'héritage de ces anciens rapports de force.
Le Fatalisme face à la Corruption : Le sentiment que l'ordre social est fixe et que certains sont "nés pour diriger" peut nourrir une forme de fatalisme face à la corruption des élites.
4. La Solution Externe et le Questionnement Final
Et c'est ici que nous devons poser la question honnête. D'où vient l'idéal d'une république sénégalaise où chaque citoyen, qu'il soit d'ascendance géer ou jaam, Wolof ou Diola, est "égal en droits et en devoirs", comme le proclame la Constitution ?
Cette idée ne vient pas de la structure hiérarchique de la société traditionnelle, ni du silence de Roog.
Elle est un emprunt à la vision du monde judéo-chrétienne, qui a introduit dans le monde l'idée révolutionnaire d'un Dieu qui parle, qui se révèle, et qui établit une alliance directe avec l'humanité. C'est le christianisme qui affirme qu'il n'y a "plus de castes" en Christ (Galates 3:28) parce que tous partagent la même dignité fondamentale d'être créés à l'Image de Dieu. Le Dieu de la Bible n'est pas silencieux ; Il a parlé par les prophètes et, ultimement, par son Fils.
Cela nous laisse avec une question cruciale. Une question pour chaque Sénégalais fier de la Teranga et du Jom :
Si notre concept le plus élevé de la dignité, le Jom, n'a pas pu empêcher nos ancêtres de participer à l'entreprise la plus déshonorante, et si, pour fonder une nation juste, nous devons nous appuyer sur l'idée d'une égalité universelle qui vient d'un Dieu qui a brisé le silence... ne serait-ce pas la preuve que le Jom est une aspiration admirable, mais que seul le Christ peut lui donner un fondement qui ne s'effondre pas face à la cupidité et au pouvoir ?
Notre dignité vient-elle de notre caste, de notre tradition, ou du fait que le Dieu qui n'est pas resté silencieux nous a appelés Ses enfants ?
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