Portrait de la Fracture (4/54) : Le Kenya - Entre la Montagne Sacrée de Ngai et le Fardeau des Serments
Cet article plonge au cœur de la spiritualité kikuyu au Kenya, centrée sur Ngai, le Créateur dont le trône terrestre est le Mont Kenya. Il met en lumière la beauté de ce monothéisme primitif et le respect sacré de la terre comme héritage divin. Mais il dévoile aussi une fracture inquiétante : l’exclusivisme ethnique et la puissance coercitive des serments tribaux, particulièrement visibles durant la révolte des Mau Mau.
PORTRAITS DE LA FRACTUREANIMISME
Vérité Le Noir
8/18/20255 min read


Introduction : L'Héritage sous l'Arbre à Palabres
Aujourd'hui, notre voyage nous mène au pied du majestueux Mont Kenya, la montagne couverte de neige sur l'équateur. C'est la terre sacrée du peuple Kikuyu, la plus grande communauté ethnique du Kenya. Asseyons-nous à l'ombre de cet héritage pour écouter ce que leurs traditions nous enseignent sur Dieu, la terre et la communauté. Comme toujours, notre quête n'est pas de juger avec arrogance, mais de comprendre avec honnêteté : cette vision du monde, si intimement liée à la terre, nous fournit-elle une boussole morale assez solide pour guider une nation plurielle et moderne ?
1. Le Trésor : La Proximité du Créateur et le Respect de la Terre
La spiritualité traditionnelle Kikuyu possède une beauté et une clarté qui forcent l'admiration. Contrairement à de nombreuses autres traditions où le Dieu créateur est lointain (Deus Otiosus), le Dieu des Kikuyu, Ngai, est à la fois transcendant et proche. On dit qu'Il réside dans les cieux, mais que son trône terrestre est le sommet du Mont Kenya (Kĩrĩnyaga), le "Lieu de la Lumière".
Depuis cette montagne, Ngai veille sur son peuple. Les Kikuyu ne se tournaient pas vers une multitude d'esprits intermédiaires ; leurs prières et leurs sacrifices, offerts sous des figuiers sacrés (Mũgumo), s'adressaient directement à Lui. Cette forme de monothéisme primitif est remarquable.
De plus, la relation avec la terre est profondément sacrée. Dans le mythe de la création Kikuyu, Ngai a donné la terre autour du Mont Kenya aux premiers parents, Gĩkũyũ et Mũmbi, et à leur descendance. La terre n'est donc pas une simple ressource économique à exploiter ; elle est un héritage divin, un lien sacré qui unit la communauté à Dieu et à ses ancêtres. Cette vision a engendré une culture de respect de la nature et un puissant sentiment d'appartenance.
(Source 1 : L'ouvrage de l'ancien président kényan et anthropologue Jomo Kenyatta, Facing Mount Kenya (1938), bien que politiquement orienté, reste une source de première main inestimable sur les coutumes, les croyances et l'organisation sociale du peuple Kikuyu.)
2. La Fracture : Le Point de Rupture Moral
Cependant, au cœur de ce système si ordonné se trouve une fracture, une faille qui a eu des conséquences historiques tragiques : la sacralisation de l'ethnie et la puissance terrifiante du serment tribal.
Si la terre a été donnée par Ngai spécifiquement aux descendants de Gĩkũyũ et Mũmbi, qu'en est-il des autres peuples qui habitent le Kenya, comme les Luo, les Kalenjin, les Masaï ? Dans la logique traditionnelle, ils sont des étrangers sur une terre qui ne leur appartient pas divinement. La solidarité et la morale, aussi fortes soient-elles au sein du clan Kikuyu, ne s'appliquent pas nécessairement avec la même force à "l'autre".
Cette fracture s'est manifestée de la manière la plus dramatique à travers la pratique des serments secrets (muma). Pour assurer la loyauté absolue au sein du groupe, et notamment pendant la lutte anti-coloniale (la révolte des Mau Mau), des serments d'une puissance redoutable étaient administrés. Ces serments liaient les initiés non seulement à une cause politique, mais à des forces spirituelles ancestrales.
Le problème est que celui qui prête serment n'est plus un agent moral libre ; il est lié par une obligation spirituelle qui transcende sa conscience personnelle. L'historien Marshall S. Clough a documenté comment, pendant la révolte des Mau Mau, ces serments ont été utilisés non seulement pour unir les combattants, mais aussi pour forcer des civils réticents à rejoindre le mouvement et pour justifier des actes d'une violence extrême, y compris contre d'autres Kikuyu considérés comme des "traîtres".
(Source 2 : Dans son livre Mau Mau Memoirs, Marshall S. Clough analyse de nombreux témoignages qui montrent comment les serments étaient à la fois une source de force et un outil de coercition terrifiant.)
Comment un système moral peut-il garantir la justice s'il est fondé sur une loyauté tribale exclusive et des pactes secrets qui exigent une obéissance aveugle, même au prix du meurtre ?
(Source 3 : L'historienne Caroline Elkins, dans son ouvrage primé Imperial Reckoning: The Untold Story of Britain's Gulag in Kenya, bien que centré sur la brutalité britannique, décrit aussi la complexité et la violence interne au mouvement Mau Mau, souvent alimentée par la logique des serments.)
3. La Conséquence : Les Cicatrices dans le Présent
Cette fracture historique a laissé des cicatrices profondes qui continuent de hanter le Kenya moderne.
Le Tribalisme Politique : La politique kényane est tristement célèbre pour ses divisions ethniques. Les élections sont très souvent des recensements tribaux, où les gens votent non pas pour un programme, mais pour le candidat de leur "communauté".
Les Conflits Fonciers : La question de la terre reste explosive. Les conflits violents qui éclatent régulièrement, notamment dans la vallée du Rift, sont alimentés par cette idée ancestrale que la terre appartient "divinement" à une ethnie plutôt qu'à une autre.
Les Sociétés Secrètes et la Corruption : L'héritage des serments perdure dans l'existence de sociétés secrètes et de réseaux de pouvoir opaques qui exigent une loyauté clanique au détriment de l'intérêt national et de la justice.
L'idéal d'une nation kényane unie, la "Rainbow Nation" rêvée, se heurte constamment au mur de cette ancienne fracture.
4. La Solution Externe et le Questionnement Final
Et c'est ici que nous devons poser la question honnête. D'où vient cet idéal d'une nation où tous les citoyens, qu'ils soient Kikuyu, Luo, Kalenjin ou Masaï, ont les mêmes droits et la même dignité ?
Cette idée ne vient pas de la vision du monde centrée sur le Mont Kenya et l'héritage exclusif de Gĩkũyũ et Mũmbi.
Elle est un emprunt à la vision du monde judéo-chrétienne. C'est la Bible qui a introduit au Kenya l'idée révolutionnaire que la terre, toute la terre, "appartient à l'Éternel" (Psaume 24:1) et qu'Il l'a donnée en gérance à toute l'humanité. C'est l'Évangile qui proclame que les alliances de sang et de serments tribaux sont rendues obsolètes par la Nouvelle Alliance dans le sang du Christ, une alliance qui crée une nouvelle famille, une nouvelle "tribu" ouverte à tous les peuples.
Cela nous laisse avec une question cruciale. Une question pour chaque Kényan fier de son héritage et de sa terre :
Si notre spiritualité ancestrale, en sacralisant une terre pour une seule tribu, a planté les graines de la division et du conflit qui déchirent notre nation aujourd'hui, et si, pour rêver d'une nation unie, nous sommes obligés d'emprunter l'idée d'une fraternité universelle à la Bible... ne serait-ce pas la preuve que la véritable montagne de Dieu n'est pas le Mont Kenya, mais le Mont Sion céleste, une patrie spirituelle ouverte à toutes les tribus ?
Quelle est la véritable fondation de notre unité : un serment de sang tribal ou l'alliance dans le sang du Christ ?
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