Portrait de la Fracture (12/54) : Le Cameroun - Entre la Puissance du Fon et le Spectre de la Méfiance
Cet article explore l’héritage des chefferies Bamiléké et Bamoun, où le culte des ancêtres et la figure du Fon ont forgé une culture dynamique, hiérarchisée et entreprenante. Le sens du lignage et la valorisation de l’investissement ont produit un dynamisme économique unique en Afrique, ancré dans la continuité et la responsabilité familiale. Mais cette vision, si féconde, portait une fracture : la peur de la sorcellerie, qui transforme le succès en menace suspecte, et la loyauté exclusive au clan, qui justifiait autrefois guerres et traite esclavagiste.
PORTRAITS DE LA FRACTUREANIMISME
Vérité Le Noir
8/18/20255 min read


Introduction : L'Héritage sous l'Arbre à Palabres
Aujourd'hui, notre voyage nous mène au cœur de l'Afrique en miniature, au Cameroun, une terre d'une diversité ethnique et géographique extraordinaire. Pour comprendre son âme complexe, nous allons nous rendre dans les hautes terres de l'Ouest, les Grassfields, domaine des chefferies Bamiléké et Bamoun. Asseyons-nous à l'ombre de ces royaumes anciens pour écouter la sagesse qui a forgé des sociétés si structurées et si prospères. Notre quête reste la même : cette vision du monde, qui a produit une culture si dynamique, nous fournit-elle une boussole morale assez solide pour guérir les divisions qui marquent le Cameroun aujourd'hui ?
1. Le Trésor : Le Culte des Ancêtres et le Sens de l'Investissement
La plus grande force des sociétés des Grassfields est peut-être leur sens aigu de la continuité et de la responsabilité lignagère. La vision du monde Bamiléké, par exemple, est profondément ancrée dans le culte des ancêtres, et plus particulièrement des crânes des ancêtres (aku).
Le crâne d'un chef de lignage décédé n'est pas un simple os ; il est le siège de sa présence spirituelle, le canal par lequel il continue de veiller, de bénir et de punir sa descendance. Chaque famille importante possède sa case aux crânes, un sanctuaire où le chef de famille actuel vient consulter ses prédécesseurs, leur offrir des libations et leur rendre des comptes.
Cette croyance a produit une culture d'une puissance remarquable :
La Continuité Historique : L'individu n'est qu'un maillon dans une chaîne qui le relie au passé (les ancêtres) et au futur (les descendants à naître). Cela engendre un profond sens de la responsabilité et de la vision à long terme.
L'Éthique de l'Investissement : La vie sur terre est une occasion d'accroître la richesse, le prestige et la force du lignage. Le succès d'un individu rejaillit sur toute la famille, y compris les ancêtres qui en tirent de la fierté dans le monde invisible. C'est l'une des racines de l'extraordinaire dynamisme économique et entrepreneurial du peuple Bamiléké.
Le pouvoir est incarné par le Fon (le roi ou chef), qui est le gardien suprême des traditions et le médiateur entre le peuple et les ancêtres royaux. C'est une vision du monde qui valorise la hiérarchie, le travail acharné et la loyauté au lignage.
(Source 1 : L'anthropologue Jean-Pierre Warnier, dans son ouvrage L'Esprit d'entreprise au Cameroun, analyse en profondeur comment les structures sociales et les croyances des Grassfields ont favorisé l'émergence d'une culture capitaliste dynamique.)
(Source 2 : The Western Grassfields of Cameroon de Mathias Guenneguez offre un aperçu détaillé de l'organisation politique et religieuse des chefferies de la région.)
2. La Fracture : Le Point de Rupture Moral
Cependant, cette vision du monde si efficace pour souder le lignage portait en elle une double fracture qui a généré méfiance et violence : la peur de la jalousie et l'exclusion de l'étranger.
Le Spectre de la Sorcellerie : Si le but de la vie est d'accumuler de la force vitale et de la richesse pour son lignage, alors le succès de l'un est souvent perçu comme une menace par l'autre. La réussite n'est que rarement vue comme le fruit du seul travail ; elle est souvent suspectée d'être le résultat d'une manipulation de forces occultes (djin) au détriment des voisins. La sorcellerie (ku'si) devient l'explication par défaut de l'échec et de la maladie. La société vit sous le spectre constant de la jalousie et de la méfiance. Le voisin qui réussit n'est pas une source d'inspiration, mais une menace potentielle.
L'Éthique Clanique : La loyauté et la morale sont avant tout dues au lignage. L'étranger, le membre d'une autre chefferie ou d'une autre ethnie, n'est pas un "frère" au même titre. Cette logique a historiquement justifié des guerres inter-chefferies et la participation à la traite négrière. Les Fons et les notables des Grassfields étaient des acteurs importants dans le commerce des esclaves avec les marchands de la côte, vendant des prisonniers de guerre ou même des membres de leur propre société tombés en disgrâce.
(Source 3 : L'historien Victor Julius Ngoh, dans History of Cameroon Since 1800, documente le rôle des chefferies de l'intérieur dans la fourniture d'esclaves pour la traite atlantique.)
Comment un système peut-il exalter la réussite tout en la rendant suspecte ? Comment peut-il valoriser la lignée tout en justifiant la vente de ses voisins ? C'est la contradiction d'une morale qui n'est pas fondée sur l'amour universel, mais sur la puissance du clan.
3. La Conséquence : Les Cicatrices dans le Présent
Les cicatrices de cette fracture sont encore profondément visibles dans le Cameroun moderne.
Le Tribalisme et le Régionalisme : La vie politique camerounaise est gangrenée par le tribalisme. Le réflexe est de soutenir le "frère du village" et de se méfier des autres. Le concept d'un "intérêt national" qui transcende les loyautés ethniques peine à s'imposer.
La Peur de la Réussite : La "sorcellerie" reste une explication omniprésente pour le succès comme pour l'échec, paralysant l'initiative et la coopération économique. On cache sa réussite de peur d'attirer la jalousie et les attaques mystiques.
La Corruption et le Népotisme : La logique de la loyauté au clan se traduit au niveau de l'État par le népotisme et la corruption, où les responsables politiques utilisent leur position pour enrichir leur propre famille ou leur village au détriment du bien commun.
4. La Solution Externe et le Questionnement Final
Et c'est ici que nous devons poser la question honnête. D'où vient l'idéal d'une République du Cameroun "une et indivisible" ? D'où vient l'idée que nous devrions nous réjouir du succès de notre voisin au lieu de le craindre ? D'où vient le concept d'une justice impartiale qui s'applique à tous, quelle que soit leur ethnie ?
Cette idée ne vient pas de la logique du culte des crânes ou de la peur du djin.
Elle est un emprunt à la vision du monde judéo-chrétienne. C'est la Bible qui a introduit une idée révolutionnaire : la bénédiction n'est pas un jeu à somme nulle. Le Dieu de la Bible est une source infinie de grâce, et le succès de mon frère ne diminue pas ma part. C'est l'Évangile qui remplace la loyauté au clan par l'appartenance à une nouvelle famille, l'Église, où il n'y a "plus ni Bamiléké, ni Béti, ni Bassa". C'est le commandement du Christ, "Aime ton prochain comme toi-même", qui est le seul antidote à la peur et à la jalousie.
Cela nous laisse avec une question cruciale. Une question pour chaque Camerounais fier du dynamisme de sa culture :
Si notre spiritualité ancestrale, en fondant la société sur la loyauté au clan et la peur de la sorcellerie, a créé les divisions et la méfiance qui paralysent notre nation aujourd'hui, et si, pour rêver d'une nation unie et prospère, nous sommes obligés d'emprunter à la Bible les concepts de fraternité universelle et d'amour du prochain... ne serait-ce pas la preuve que le culte des ancêtres peut construire un lignage, mais que seul le Christ peut construire une nation ?
Comment bâtir une maison de confiance sur des fondations de méfiance ?
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