Altruisme et Justice : Stratégies de Survie

Introduction : La Question la Plus Humaine

D'où vient notre sens du "bien" et du "mal" ? Pour un nombre croissant de penseurs matérialistes, la réponse se trouve dans notre passé lointain : la morale ne serait qu'un produit de l'évolution, un instinct de survie sophistiqué gravé dans notre ADN par la sélection naturelle. L'altruisme, la justice, la compassion ne seraient que des stratégies développées par nos ancêtres primates pour assurer la survie du groupe.

Cette vision, séduisante par sa cohérence interne, peut expliquer certains aspects fonctionnels de nos comportements pro-sociaux. Mais en y regardant de plus près, elle échoue à rendre compte de trois réalités majeures : la morale objective, la valeur humaine inaliénable et le sacrifice désintéressé. Ces dimensions transcendent la logique adaptative et appellent une explication plus profonde que celle offerte par la simple biologie.

1. L'Argument Évolutionniste : La Morale comme "Instinct de Troupeau"

La théorie de l'évolution de la morale, popularisée par des biologistes comme Richard Dawkins ou des philosophes comme Michael Ruse, repose sur deux piliers :

• La Sélection de Parentèle (Kin Selection) : Je suis génétiquement programmé pour protéger mes proches (ma famille, mon clan), car ils partagent mes gènes. Sacrifier ma vie pour mes enfants est une stratégie "égoïste" de mes gènes pour se propager.

• L'Altruisme Réciproque : J'aide un membre de mon groupe ("je t'épouille, tu m'épouilles") car j'attends un retour de service plus tard. La coopération augmente les chances de survie du groupe face à un environnement hostile.

Exemple du Contexte Africain : Cette théorie explique très bien la solidarité clanique et ethnique qui est au cœur de nombreuses cultures africaines traditionnelles. Le concept d’Ubuntu ("Je suis parce que nous sommes") peut être perçu, en partie, comme l’expression d’une dynamique collective favorisant la cohésion du groupe. Mais il dépasse souvent la logique purement utilitariste, en affirmant une interdépendance humaine porteuse de valeurs spirituelles et éthiques, difficilement réductibles à de simples stratégies de survie.

Le Problème : Cette explication, bien que juste pour décrire certains comportements, s'arrête là. Elle ne peut pas expliquer la véritable nature de la morale.

2. La Réfutation : Les Trois Choses que l'Évolution ne peut PAS Expliquer

A. L'Existence d'une Loi Morale Objective et Universelle

Si la morale n'était qu'un instinct de survie, elle devrait être relative à chaque "troupeau" et à chaque situation. Mais au fond de nous, nous savons que certaines choses sont objectivement et universellement mauvaises.

• L'Argument Philosophique (l'Argument Moral) : Comme l'a développé le philosophe C.S. Lewis dans "Les Fondements du Christianisme" (Mere Christianity), tous les humains, de toutes les cultures, ont en eux la notion d'une "Loi de la Nature" ou d'un standard de justice. Nous pouvons débattre de son application, mais personne ne croit sincèrement que la cruauté est meilleure que la gentillesse, ou le courage meilleur que la lâcheté.

• L'Exemple Africain : Prenons le Génocide des Tutsis au Rwanda. L'évolution peut expliquer la violence tribale comme une forme de "compétition de groupe". Mais elle est totalement incapable d'expliquer pourquoi nous, en tant qu'observateurs extérieurs, nous crions que cet acte était une abomination morale objective. Si la morale n'est que la survie du groupe, alors la victoire des Hutus aurait dû être "naturelle". Notre conscience nous dit le contraire. Pourquoi ? Parce que nous croyons que les Tutsis avaient une valeur intrinsèque qui a été violée. D'où vient cette notion ?

B. La Dignité Inaliénable de l'Individu (surtout du Faible)

L'évolution est un processus brutal qui favorise les forts et élimine les faibles. La morale humaine, à son meilleur, fait l'exact opposé.

• La Logique de l'Évolution : La sélection naturelle est impitoyable envers les individus qui sont un "fardeau" pour le groupe (les malades, les handicapés, les très âgés).

• La Révolution Morale : L'humanité, et en particulier la tradition judéo-chrétienne, a introduit une idée radicalement anti-évolutive : le devoir de protéger les plus faibles. Prendre soin d'un enfant handicapé, honorer une personne âgée qui n'est plus "productive", construire un hôpital pour les malades... tout cela n'a aucun sens du point de vue de la simple survie des gènes.

• L'Exemple Africain : La lutte contre la stigmatisation des albinos ou des enfants handicapés dans certaines régions n'est pas menée au nom de l'évolution, mais au nom d'un principe moral supérieur qui affirme que chaque vie a une valeur égale, une idée qui trouve son fondement le plus solide dans le concept de l'Image de Dieu.

C. L'Altruisme Radical et le Sacrifice pour l'Étranger

L'évolution peut expliquer pourquoi un soldat meurt pour sa patrie (son "clan élargi"). Elle ne peut pas expliquer Mère Teresa.

• Le Paradoxe de l'Altruisme Pur : Pourquoi risquer sa vie pour sauver un étranger d'une autre ethnie ou d'une autre nationalité, sans aucun espoir de réciprocité ? Pourquoi des figures comme Oskar Schindler ou certains héros anonymes du Rwanda ont-ils risqué leur vie pour protéger des personnes étrangères à leur "groupe" ethnique ou national ? Ce type de sacrifice, sans attente de retour, résiste à toute explication biologique simple, et suggère une force morale supérieure à l’instinct.

• La Commande Impossible : L'Amour de l'Ennemi. Le commandement du Christ d'aimer ses ennemis est le défi ultime à toute explication évolutionniste. C'est une commande qui va directement à l'encontre de l'instinct de survie du groupe.

• L'Exemple Africain : L'archevêque Desmond Tutu prônant la réconciliation et le pardon après l'Apartheid, au lieu de la vengeance, est un acte qui ne peut pas s'expliquer par la biologie évolutive. C'est un acte qui puise sa source dans une morale du pardon qui transcende l'instinct de groupe.

Conclusion : Le "Fantôme dans la Machine"

L'évolution a sculpté notre corps et peut-être certains de nos instincts sociaux. Mais elle ne peut pas expliquer la Loi Morale qui résonne dans notre conscience, qui nous dit que tous les humains ont une valeur égale, et qui nous appelle à aimer même nos ennemis.

Cette Loi est comme un "fantôme dans la machine" biologique. Elle n'a pas de sens dans un univers purement matérialiste. Son existence est la preuve la plus forte qu'il existe une source de la morale au-delà de la nature. Comme l'a dit C.S. Lewis, nous sommes "hantés" par une loi que nous n'avons pas créée et que nous ne pouvons pas respecter parfaitement.

Cette Loi pointe vers un Législateur. Un Dieu personnel, bon et juste, qui a inscrit son caractère dans notre cœur et qui, en Christ, nous a montré ce que signifie aimer de manière sacrificielle, bien au-delà de ce que la simple survie pourrait jamais exiger.