Naissance du Panafricanisme dans les Églises

Découvrez comment le panafricanisme, porté par des figures comme Garvey et Blyden, a émergé des églises avec une foi libératrice et prophétique, un fondement souvent ignoré de l'histoire du panafricanisme et de la libération africaine.

KÉMETISMEANIMISMEHISTOIRE ET CHRISTIANISME

Vérité Le Noir

10/1/20254 min read

"Si Dieu nous fit à Son image, alors le maître qui nous fouette frappe le visage du Créateur."
Un esclave anonyme, rapporté par John Marrant, 1780

Introduction : L’Amnésie Sélective des Mouvements Modernes

Aujourd’hui, de nombreux courants panafricains contemporains rejettent le christianisme comme une religion étrangère, coloniale, complice de l’oppression noire. L’appel au retour vers les spiritualités dites "ancestrales" (kémitisme, animisme, vodou) est souvent présenté comme le seul chemin de réappropriation identitaire.

Pourtant, ce rejet repose sur une grave amnésie historique et théologique.

Le panafricanisme, dans sa forme moderne organisée, est né dans le sein du christianisme. Mais plus encore : il est né d’une théologie radicale, forgée dans la souffrance de l’esclavage, autour d’un concept révolutionnaire : l’Imago Dei — le fait que chaque être humain est porteur de l’image de Dieu.

C’est cette vérité biblique que les esclaves et penseurs noirs ont arrachée aux mains de leurs oppresseurs pour en faire l’arme théologique la plus puissante contre l’esclavage, le racisme et l’humiliation.

1. Des Esclaves aux Théologiens : La Révolution Spirituelle des Hush Harbors

Dans les plantations, l’Évangile transmis par les maîtres était souvent mutilé : expurgé des appels à la liberté et centré sur l’obéissance. Mais dans les lieux de culte clandestins appelés hush harbors, les esclaves réinterprètent eux-mêmes les Écritures.

Genèse 1:27 devient leur cri de résistance :
"Dieu créa l’homme à Son image... Il le créa homme et femme."

Cette déclaration, apparemment simple, devient un acte d’accusation radical :

"Si je suis à l’image de Dieu, me fouetter, c’est fouetter Dieu."
"Si je suis à l’image de Dieu, vous n’avez aucun droit de me posséder."

C’est dans ces milieux que naît une théologie populaire subversive, transmise par les chants, les prières et les récits oraux. Ce sont les premiers théologiens noirs — anonymes mais fondateurs.

2. Figures Clés : L’Imago Dei comme Détonateur

Olaudah Equiano (1745–1797)

Dans The Interesting Narrative, il dénonce le viol de l’image de Dieu dans l’esclavage :

"Ils nous traitent comme des bêtes, oubliant que Dieu souffla Son âme dans nos narines à nous aussi."
(Chapitre 5)

Ce témoignage bouleverse l’opinion britannique et contribue à l’abolitionnisme.

Frederick Douglass (1818–1895)

Dans son discours mythique What to the Slave Is the Fourth of July?, il affirme :

"En enchaînant mon corps, vous ne pouvez pas enchaîner l’image de Dieu en moi."
"L’esclave est une preuve vivante que vous avez crucifié le Christ noir en chacun de nous."

Il fait de l’Imago Dei un bouclier spirituel contre l’humiliation.

James Cone (1938–2018)God of the Oppressed

Théologien de la libération noire, il déclare :

"L’Imago Dei est noire. Dieu S’est fait esclave sur la croix pour révéler que Sa véritable image est dans les souffrants."

Il inverse la théologie dominante : Dieu n’est pas neutre, il est du côté des opprimés.

Anna Julia Cooper (1858–1964)

Pionnière féministe et théologienne noire, elle écrit dans A Voice from the South :

"Quand ils disent que la femme noire n’est pas à l’image de Dieu, ils blasphèment."
"Elle qui porte double croix est l’icône du Christ souffrant."

Elle élargit la doctrine à la race, le genre, et la résistance.

3. La Théologie du Panafricanisme : Fraternité, Exode, Rédemption

Les fondateurs du panafricanisme ont puisé dans cette vision puissante du christianisme pour bâtir leur projet.

  • Henry Sylvester Williams, organisateur de la première Conférence Panafricaine (1900), s’appuie sur la fraternité chrétienne universelle.

  • Marcus Garvey prêche un Jésus noir, Roi et Libérateur. Il fonde l’Église Orthodoxe Africaine avec une iconographie noire.

  • W.E.B. Du Bois analyse la souffrance noire à travers un prisme biblique. Il voit l’Église noire comme bastion de résistance.

  • Edward Blyden affirme que l’Afrique a une vocation spirituelle unique dans le plan de Dieu.

Tous s’appuient sur l’idée que chaque Africain, chaque diasporique, porte en lui l’image de Dieu.

4. Spirituals et Résistance : Le Chant de l’Imago Dei

"You are my brother, made in His image / When they sell you down river, they sell a piece of God."
(Chant Gullah, 1942)

Ces chants codés, transmis dans les plantations, proclamaient la dignité divine de chaque esclave. Ils prêchaient une théologie que les maîtres redoutaient : vendre un homme noir, c’est vendre un fragment de Dieu.

5. Un Paradoxe Tragique : Quand le Fils Renie le Père

Les mouvements panafricanistes modernes, en rejetant le christianisme comme "religion de l’esclavage", renient les racines spirituelles de leur propre naissance.

Ils oublient que leurs pères fondateurs ont puisé dans la Bible et dans le Christ souffrant l’énergie de leur révolte.

Ils ignorent que l’Imago Dei, en tant que doctrine, a été redéfinie par les opprimés, et non imposée par les colonisateurs.

Conclusion : Le Retour à la Source

Le panafricanisme ne peut être pleinement cohérent qu’en retrouvant l’héritage théologique de ceux qui ont tout risqué pour dire au monde :

"Je suis noir, je suis femme, je suis esclave, mais je suis à l’image de Dieu."

C’est cette foi radicale qui a bâti les fondations du mouvement. Et c’est cette foi qu’il faut réhabiliter, non comme une trahison de l’Afrique, mais comme la preuve ultime que Dieu n’a jamais tourné le dos au continent noir.