Les Dix Commandements sont-ils un Plagiat des "42 Lois de Maât" ? Enquête sur une Supercherie Historique

Introduction : L'Argument Massue du Kémitisme

S'il y a un argument que vous entendrez systématiquement pour "prouver" l'origine égyptienne de la morale biblique, c'est celui-ci : les Dix Commandements de Moïse ne seraient qu'une version simplifiée et plagiée des "42 Lois de la Maât", un code de moralité égyptien prétendument bien plus ancien et plus complet.

Cette affirmation, répétée en boucle sur les réseaux sociaux, est puissante car elle semble s'appuyer sur une preuve textuelle écrasante. Cependant, un examen rigoureux des sources égyptologiques et une analyse de la nature de ces deux textes révèlent non seulement que le plagiat est une fiction, mais que l'existence même des "42 Lois de la Maât" en tant que code de loi est une supercherie historique.

1. Démystifier les "42 Lois" : Ce qu'elles Sont Réellement

La première étape est de corriger une erreur factuelle fondamentale.

• Le Mythe : Il existerait en Égypte un code de loi comparable aux Dix Commandements, listant 42 lois morales positives ou négatives.

• La Réalité Historique : Ce code de loi n'a jamais existé. Ce que l'on appelle abusivement les "42 lois" est en réalité la "Déclaration d'Innocence" ou les "Confessions Négatives", que l'on trouve au chapitre 125 du Livre des Morts.

  • Le Contexte : Ce n'est pas un texte de loi pour les vivants, mais un texte magico-religieux pour les morts.

  • La Scène : Le chapitre décrit l'arrivée de l'âme du défunt dans la "Salle des Deux Vérités" pour le jugement final. Pour être admis dans l'au-delà, le mort doit se présenter devant 42 juges divins, assesseurs d'Osiris.

  • L'Acte : Devant chaque juge, le mort récite une formule, une dénégation : "Je n'ai pas commis de péché", "Je n'ai pas volé", "Je n'ai pas tué", "Je n'ai pas menti", "Je n'ai pas rendu quelqu'un malheureux", etc.

Conclusion de ce point : Comparer les Dix Commandements à cette liste, c'est comme comparer le Code Pénal (un ensemble de lois pour la société) à la plaidoirie d'un accusé au tribunal ("Votre honneur, je n'ai rien fait !"). Ce ne sont pas des documents de même nature.

2. La Réfutation : Une Opposition Morale et Théologique Radicale

Même si l'on ignore cette différence fondamentale de nature, une comparaison du contenu et de la philosophie morale révèle une opposition totale.

Contradiction n°1 : La Morale de l'Auto-Justification vs la Morale de la Révélation

• En Égypte : Le défunt se présente devant les dieux et proclame sa propre justice. Le but est de prouver que son cœur est aussi léger que la plume de Maât. C'est une morale de la performance et de l'auto-justification. L'homme se sauve par ses propres œuvres et sa propre pureté.

• Dans la Bible : Les Dix Commandements ne sont pas une liste de choses que l'homme invente pour plaire à Dieu. Ce sont des ordres donnés par un Dieu Saint à un peuple pécheur. Le point de départ n'est pas la justice de l'homme, mais la sainteté de Dieu. La Loi ne sert pas à se justifier, mais, comme le dira Paul, à révéler le péché (Romains 3:20).

Contradiction n°2 : Une Morale Rituelle vs une Morale Théocentrique

• En Égypte : La liste des "Confessions" mélange des interdits moraux universels ("je n'ai pas volé") avec des interdits purement rituels et culturels ("je n'ai pas blasphémé le dieu de ma cité", "je n'ai pas pêché les poissons des dieux"). La morale est indissociable du respect du panthéon polythéiste.

• Dans la Bible : Les Dix Commandements commencent par un acte de libération théologique radicale. Les quatre premiers commandements ne parlent pas de morale sociale, mais de la relation exclusive avec Yahvé. "Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face." "Tu ne te feras point d'image taillée." C'est une déclaration de guerre au polythéisme et à l'idolâtrie qui sont le fondement même du système égyptien.

Contradiction n°3 : Une Morale de la Peur vs une Morale de l'Alliance

• En Égypte : Le but des confessions est d'échapper à la "seconde mort", à la dévoration par le monstre Ammit. La motivation est la peur de la punition.

• Dans la Bible : Les Dix Commandements sont donnés après que Dieu a libéré Israël de l'esclavage. Ils commencent par le rappel de cet acte de grâce : "Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte..." (Exode 20:2). La morale n'est pas la condition pour être sauvé ; elle est la réponse reconnaissante du peuple qui a déjà été sauvé. C'est une morale de l'alliance et de la gratitude.

3. Conclusion : Une Invention Moderne pour un Agenda Précis

L'idée que les Dix Commandements sont un plagiat des "42 Lois de Maât" est une supercherie sur plusieurs niveaux :

1. Elle est factuellement fausse : Les "42 Lois" n'ont jamais existé en tant que code de loi.

2. Elle est théologiquement incohérente : Elle compare deux systèmes moraux dont la source, le but et la nature sont radicalement opposés.

Le fait que les promoteurs modernes du Kémitisme doivent inventer un "code de 42 lois" et ignorer son contexte funéraire et magique est l'aveu involontaire de la faiblesse de leur propre système. Ils sentent le besoin d'un code moral prescriptif comme les Dix Commandements et, n'en trouvant pas, ils transforment une litanie d'auto-défense post-mortem en un code éthique qu'elle n'a jamais été.

Sources pour approfondir :

• Jan Assmann, Maât, l'Égypte pharaonique et l'idée de justice. (Un égyptologue de premier plan qui analyse la complexité de la Maât).

• John H. Walton, Ancient Near Eastern Thought and the Old Testament. (Pour la comparaison des systèmes légaux).

• Traduction du Chapitre 125 du Livre des Morts (disponible dans de nombreuses éditions, comme celle de Paul Barguet).