Le "Plagiat Inversé" – Quand le Corpus Hermeticum Emprunte à l'Évangile de Jean

Introduction : La Question de la Source

Dans la quête d'une "sagesse primordiale" qui serait antérieure et supérieure au christianisme, le Corpus Hermeticum est souvent présenté comme un texte égyptien pur qui aurait influencé la pensée chrétienne. Nous avons déjà démontré que ces textes sont en réalité des écrits gréco-égyptiens tardifs (Ier-IIIe siècles ap. J.-C.). Mais l'analyse révèle quelque chose d'encore plus troublant pour ceux qui les défendent : loin d'être une source pour le christianisme, le Corpus Hermeticum semble avoir emprunté et adapté des concepts fondamentaux directement aux écrits du Nouveau Testament, en particulier à l'Évangile de Jean, qui lui est antérieur.

Il ne s'agit pas d'affirmer un plagiat mot pour mot, mais de reconnaître ce que les érudits appellent une influence conceptuelle. Les auteurs hermétiques vivaient dans la même atmosphère intellectuelle et spirituelle que les premiers chrétiens à Alexandrie. Ils connaissaient le langage chrétien et l'ont réinterprété à travers leur propre prisme philosophique.

Voici 7 parallèles frappants qui suggèrent une forte influence de l'Évangile de Jean sur le Corpus Hermeticum.

1. Le Logos : La Parole Créatrice

• Évangile de Jean (écrit ~90 ap. J.-C.) : Le livre s'ouvre sur une déclaration révolutionnaire : "Au commencement était le Logos (la Parole), et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu. Toutes choses ont été faites par lui..." (Jean 1:1-3).

• Corpus Hermeticum (Poimandrès, CH I.5-6) (écrit ~100-300 ap. J.-C.) : Hermès a une vision. Après le chaos, il voit une Lumière, qui est le Nous (l'Intellect divin). De cette Lumière émerge un "Logos saint" qui est appelé le "Fils de Dieu". Ce Logos est l'agent qui met de l'ordre dans la nature.

• Analyse : Le concept de Logos existait dans la philosophie grecque (stoïcisme), mais l'idée d'un Logos personnel, divin, appelé "Fils de Dieu" et agissant comme créateur est une signature johannique. L'auteur hermétique semble prendre ce concept chrétien et le réinsérer dans un cadre cosmogonique plus platonicien.
  

2. "Né de Nouveau" : La Régénération Spirituelle

• Évangile de Jean (Jean 3:3) : Jésus dit à Nicodème : "En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu." C'est une naissance spirituelle, "d'eau et d'Esprit".

• Corpus Hermeticum (CH XIII) : Ce traité entier s'intitule "Sur la Régénération" (Palingenesia). Hermès enseigne à son disciple Tat qu'il doit abandonner les "sens irrationnels" pour être "engendré de nouveau" dans le Nous (l'Intellect divin).

• Analyse : Le concept et même le vocabulaire de la "nouvelle naissance" ou "régénération" comme condition pour accéder à une réalité spirituelle supérieure sont au cœur de l'enseignement de Jésus. Son apparition dans un texte hermétique postérieur suggère une forte influence.
  
  

3. Le Dieu-Homme comme Révélateur

• Évangile de Jean : Jésus est le Dieu incarné, le seul qui puisse révéler le Père. "Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître." (Jean 1:18).

• Corpus Hermeticum (Poimandrès) : Le guide spirituel d'Hermès, Poimandrès, se présente comme "le Nous de la Souveraineté absolue". Il est une entité divine qui prend une forme quasi-humaine pour révéler les secrets du cosmos à Hermès.

• Analyse : L'idée d'une divinité qui se manifeste pour instruire un humain est un thème commun. Mais la figure de Poimandrès comme "Intellect divin" qui agit en tant que guide personnel et révélateur de la vérité sur Dieu et l'homme est très proche du rôle du Christ dans l'Évangile de Jean.
  
  

4. La Lumière et les Ténèbres

• Évangile de Jean : C'est un thème central. "La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue." (Jean 1:5). Jésus est "la lumière du monde".

• Corpus Hermeticum (Poimandrès, CH I.4-5) : La vision d'Hermès commence par une lutte entre une Lumière joyeuse et des "ténèbres horribles et tortueuses".

• Analyse : Le dualisme lumière/ténèbres est un thème ancien (zoroastrisme). Cependant, la manière dont il est articulé dans Poimandrès, comme une lutte métaphysique initiale où la Lumière est associée à l'Intellect divin (le Nous), est très proche de la théologie johannique.
  
  

5. L'Homme Créé à l'Image Divine

• Genèse & Nouveau Testament : L'homme est créé "à l'image de Dieu" (Imago Dei).

• Corpus Hermeticum (Poimandrès, CH I.12) : L'Homme primordial est créé par le Nous "à sa propre image".

• Analyse : L'idée de l'Imago Dei est fondamentalement biblique. Son apparition dans le Corpus Hermeticum suggère une familiarité avec la tradition judéo-chrétienne.
  

6. La Chute par Amour de la Matière

• Nouveau Testament : La chute est due à la désobéissance, mais elle mène à une captivité du "monde" et de la "chair". "N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde." (1 Jean 2:15).

• Corpus Hermeticum (Poimandrès, CH I.14) : L'Homme primordial, étant divin, "tombe amoureux" de son propre reflet dans la Nature matérielle. Il désire s'unir à elle et se retrouve emprisonné dans un corps mortel.

• Analyse : C'est une version très platonisée et gnostique du récit de la Chute, mais le thème d'une descente de l'esprit dans la matière par un acte de volonté est un parallèle conceptuel fort.
  

7. Le Salut par la Connaissance (Gnosis)

• Évangile de Jean : La foi est une connaissance relationnelle. "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ." (Jean 17:3).

• Corpus Hermeticum : Le salut (la remontée de l'âme vers Dieu) est atteint par la Gnosis, la connaissance secrète des mystères du cosmos et de Dieu, révélée par Hermès.

• Analyse : L'auteur hermétique semble prendre le concept chrétien du salut par la "connaissance" de Dieu, mais il le détache de la foi et de la grâce pour en faire une initiation intellectuelle et mystique, ce qui est la marque du gnosticisme.
  

Conclusion : Un Écho Déformé

Le Corpus Hermeticum n'est pas un plagiat mot pour mot du Nouveau Testament. C'est un syncrétisme. Ses auteurs, vivant dans le bouillonnement intellectuel de l'Égypte gréco-romaine, ont pris les concepts les plus puissants de leur époque – le Logos johannique, la nouvelle naissance, le dualisme lumière/ténèbres, le salut par la connaissance – et les ont intégrés dans leur propre système philosophique platonicien et gnostique, en leur donnant un vernis d'antiquité égyptienne.

Loin d'être la source du christianisme, le Corpus Hermeticum est l'un de ses premiers échos déformés, la preuve que le message des Évangiles était si puissant qu'il a forcé même ses rivaux philosophiques à en adopter le langage.