Le Dilemme de la Reine Nzinga : Peut-on Vaincre le Diable avec les Armes de l'Enfer ?

L’histoire de la Reine Nzinga Mbande est à la fois une fresque héroïque et une tragédie morale. Figure emblématique de la résistance africaine au XVIIe siècle, elle tint tête aux Portugais avec bravoure et intelligence diplomatique. Mais son alliance avec les Imbangala, guerriers aux coutumes extrêmes et pourvoyeurs d’esclaves, la piégea dans une logique de violence et de prédation qui fit d’elle l’image même de ses oppresseurs.

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Vérité Le Noir

8/19/20255 min read

Introduction : La Lionne de l'Angola, une Icône Intouchable ?

Il y a peu de figures dans l'histoire africaine aussi impressionnantes que la Reine Nzinga Mbande. Au XVIIe siècle, pendant près de quarante ans, cette reine guerrière des royaumes de Ndongo et Matamba a tenu tête à l'une des plus grandes puissances coloniales de son temps, le Portugal. Sa bravoure, son génie diplomatique et sa férocité sur le champ de bataille en ont fait, à juste titre, une icône de la résistance africaine et du panafricanisme.

Pour beaucoup de critiques modernes du christianisme, son histoire est une parabole parfaite. Nzinga, d'abord baptisée sous le nom d'Ana de Sousa, aurait compris que le christianisme était une "ruse des blancs". Elle l'aurait alors rejeté pour retourner à ses racines ancestrales, puisant dans la force de la tradition africaine le pouvoir de combattre l'envahisseur.

Mais cette histoire, aussi belle soit-elle, est-elle complète ? Est-elle si lisse ? Une enquête honnête sur la vie complexe de Nzinga nous révèle une tragédie bien plus profonde. Elle nous montre une reine prise au piège d'un dilemme terrible, et dont le "retour aux sources" l'a conduite à commettre les mêmes atrocités que celles qu'elle combattait. C'est l'illustration parfaite de la "fracture" que nous explorons dans cette série.

1. Le Trésor : La Résistance Inflexible face à l'Oppression

Il faut le dire sans détour : la résistance de Nzinga face à l'expansion portugaise et à la traite négrière est l'un des plus grands exploits de l'histoire militaire africaine. Elle a refusé de se laisser intimider. La célèbre anecdote où, lors d'une négociation avec le gouverneur portugais qui ne lui offre qu'un coussin sur le sol, elle ordonne à l'une de ses servantes de se mettre à quatre pattes pour lui servir de siège, montre une femme consciente de sa dignité royale et refusant toute forme d'humiliation.

Son baptême en 1622 était, au départ, un acte diplomatique brillant pour sceller un traité de paix avec les Portugais. Mais face à la trahison constante de ces derniers, qui continuaient leurs raids pour capturer des esclaves, on peut comprendre son désenchantement.

(Source 1 : L'ouvrage de Linda M. Heywood, Njinga of Angola: Africa's Warrior Queen, est la biographie la plus complète et la plus nuancée sur sa vie, basée sur des archives portugaises, néerlandaises et vaticanes.)

2. La Fracture : L'Alliance avec les Imbangala et la Logique du "Feu par le Feu"

Face à la puissance de feu portugaise, Nzinga a compris qu'elle avait besoin d'alliés. Et elle a fait une alliance qui allait changer son destin et celui de son peuple. Elle s'est alliée avec les Imbangala (ou Jaga), des bandes de guerriers mercenaires redoutés dans toute l'Afrique centrale.

Mais qui étaient les Imbangala ? Ce n'était pas une ethnie, mais une sorte de "société militaire" dont la puissance reposait sur une rupture totale avec les normes sociales traditionnelles. Leur vision du monde était brutale :

  • Rejet de la Parenté : Pour rejoindre le groupe, les novices devaient souvent renoncer à leur famille.

  • Infanticide Rituel : Les enfants nés au sein du camp étaient systématiquement tués, car ils étaient considérés comme un fardeau pour une société de guerriers nomades. Le groupe se renouvelait en capturant et en initiant de jeunes adolescents.

  • Cannibalisme Rituel : Ils pratiquaient une forme de cannibalisme rituel, croyant que cela leur donnait la force de leurs ennemis.

(Source 2 : L'historien Joseph C. Miller, dans Way of Death: Merchant Capitalism and the Angolan Slave Trade, décrit en détail la structure sociale et les pratiques des Imbangala, les montrant comme une réponse militaire radicale et brutale à la violence de la traite.)

Pour devenir la cheffe de ces guerriers, Nzinga a dû elle-même adopter leurs coutumes. Elle a abandonné son titre de "Ngola" (reine) pour devenir leur "Tembanza" (cheffe de guerre). Des sources rapportent qu'elle a dû participer à leurs rituels les plus sombres. Son "retour aux sources" n'était pas un retour à une spiritualité paisible, mais l'adoption d'une idéologie de la violence pure, une tentative de combattre le feu par le feu.

Et quelle était la principale activité économique des Imbangala ? Les raids pour capturer des esclaves. En s'alliant avec eux, Nzinga, la grande résistante à la traite, est devenue elle-même l'une des plus grandes pourvoyeuses d'esclaves de la région. Elle capturait des membres de peuples voisins, et parfois même de son propre peuple, pour les vendre aux marchands... y compris aux Portugais qu'elle combattait, via des intermédiaires, pour obtenir les armes nécessaires à sa survie.

(Source 3 : John K. Thornton, dans A History of West Central Africa to 1850, confirme que l'alliance de Nzinga avec les Imbangala était une nécessité stratégique qui l'a transformée, elle et son royaume, en une puissance majeure de la traite négrière.)

3. La Conséquence : La Spirale de la Violence

La conséquence de ce choix fut une spirale de violence sans fin. Pour maintenir son pouvoir et financer sa guerre, Nzinga a dû alimenter la machine même qu'elle prétendait détruire. Son royaume est devenu un État prédateur, semant la terreur dans la région. La logique de la "fracture" est ici implacable : en adoptant la vision du monde de ses alliés, une vision où la vie humaine n'a aucune valeur intrinsèque et où seule la puissance compte, elle est devenue le miroir de ses oppresseurs.

Vers la fin de sa vie, épuisée par des décennies de guerre, Nzinga s'est à nouveau tournée vers le christianisme, invitant des missionnaires capucins dans son royaume. Mais la cicatrice de ses choix était là. Son histoire n'est pas celle d'une libération par la spiritualité ancestrale, mais la tragédie d'une reine qui, pour survivre, a dû vendre une partie de son âme.

4. La Solution Externe et le Questionnement Final

L'histoire de Nzinga est le portrait parfait de la faillite de la morale de l'Arbre de la Connaissance. C'est la logique humaine qui dit : "Pour combattre un monstre, je dois devenir un monstre plus terrible encore."

D'où vient alors l'idée d'une résistance qui ne se corrompt pas ? D'où vient le concept d'une force qui peut vaincre le mal sans devenir mauvaise elle-même ?

Cette idée ne vient pas de la logique de la puissance des Imbangala. Elle vient de la logique radicale de la Croix. C'est le Christ qui, face à la violence de l'empire romain, n'a pas appelé des légions d'anges. Il a absorbé la violence. C'est l'Évangile qui enseigne que l'on ne combat pas la haine par plus de haine, mais par un amour sacrificiel qui brise le cycle de la vengeance.

Cela nous laisse avec une question cruciale. Une question pour tous ceux qui admirent, à juste titre, la force de la Reine Nzinga :

Si le retour de Nzinga à une spiritualité ancestrale de la puissance l'a inévitablement conduite à participer au commerce des esclaves pour survivre, n'est-ce pas la preuve que ces spiritualités, en étant fondées sur la puissance et non sur la sainteté, portent en elles la graine de leur propre corruption ?

Quelle est la véritable libération : celle qui nous pousse à vendre nos frères pour acheter des fusils, ou celle qui nous donne la force de pardonner à nos ennemis, même si cela doit nous coûter la vie ?